Pr Pierre Hausfater, Chef de Service des Urgences, GH Sorbonne-Université, Hôpital PitiéSalpêtrière, AP-HP Paris
Qu’est-ce qu’une infection respiratoire basse aux Urgences ?
Une infection respiratoire basse (IRB) aux Urgences se présente sous la forme de 4 tableaux cliniques principaux : la bronchite aiguë, l’exacerbation de Broncho-Pneumopathie Chronique Obstructive (BPCO), la surinfection de dilatation des bronches ou d’emphysème et la pneumonie communautaire.
« Aux urgences, c’est un patient qui vient pour des signes respiratoires (toux, crachats) ou avec des signes généraux évocateurs d’un syndrome infectieux (fièvre, frissons…), une dyspnée ou une douleur thoracique. Nous accueillons ce type de patients tous les jours » décrit le Pr Hausfater.
Les infections respiratoires basses sont la première cause d’infection chez l’homme et par conséquent, le premier poste de consommation d’antibiotiques. 50% des IRB sont d’origine virale et donc ne nécessitent pas d’antibiothérapie. « Malheureusement dans la pratique nous avons tendance à donner trop souvent des antibiotiques à ces patients car nous n’identifions pas en temps réel l’étiologie virale de cette infection » avoue le Pr Hausfater.
Aux urgences, face à une suspicion d’IRB, deux décisions majeures sont à prendre par l’urgentiste: introduction d’une antibiothérapie ? Prise en charge en ambulatoire ou hospitalisation ?
Quels sont les déterminants pour la prescription d’antibiotiques ? [1]
L’utilisation fréquente d’antibiotiques aux Urgences s’explique par la peur de passer à côté des infections qui mettent en jeu le pronostic vital. Les guidelines de Surviving Sepsis Campaign [2] recommandent de démarrer l’antibiothérapie le plus tôt possible, dans la première heure, au cours des états septiques graves, appelés aussi Sepsis. « Pourtant aux Urgences nous sommes en majorité de cas face à des infections sans critères de gravité, sans défaillance d’organes, laissant le temps de réfléchir si le patient a besoin ou pas d’antibiotiques » challenge le Pr Hausfater. Un des déterminants clés pour la prescription d’antibiotiques est l’incertitude du diagnostic, notamment sur l’étiologie bactérienne ou virale. [1]
Comment faire le diagnostic d’infection ?
– D’une part, optimiser le diagnostic étiologique. Pour les virus, le gold standard pour identifier l’agent pathogène responsable est une PCR virale (BioFire® FilmArray® Respiratory Panel 2.1 plus par exemple, bien adapté au flux des urgences avec un temps d’analyse de 45 minutes)
– D’autre part, étudier la réponse de l’hôte à l’infection, notamment à l’infection bactérienne avec le biomarqueur Procalcitonine (PCT) qui a fait ses preuves dans la rationalisation d’utilisation des antibiotiques (PCT>0,25 µg/L : forte suspicion d’une infection bactérienne, une antibiothérapie est donc recommandée) [3, 4]
« L’idée est de coupler ces deux approches pour utiliser les antibiotiques de manière la plus rationnelle possible » suggère le Professeur Hausfater.
Etude observationnelle sur la saison hivernale 2017-2018 à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière après l’adoption de la technique BioFire® FilmArray® par le laboratoire de virologie
Le contexte des Urgences à la Pitié : 70 000 passages adultes/an et 9 000 séjours en unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD). Le service est équipé de 24 lits dont 8 chambres seules qui sont utilisées pour l’isolement respiratoire.
L’objectif de cette étude rétrospective était de répondre à la question : « comment le fait de disposer des résultats rapides de BioFire® FilmArray® permet de modifier notre pratique ? » explique le Professeur Hausfater.
« La rentabilité diagnostique de BioFire® FilmArray® était assez intéressante avec un taux de positivité compris entre 38 et 49% .
Le temps médian de rendu des résultats en 4h35 est cohérent avec la problématique des urgences.
Modifications observées du workflow des patients de l’UHCD suite aux résultats rapides de BioFire :
– Lorsque la PCR est positive pour un virus, l’isolement respiratoire est maintenu ou instauré. Cela permet de solliciter les collègues en aval pour une chambre seule. Inversement lorsque la PCR virale est négative, l’isolement peut être levé et le patient peut être hospitalisé en aval dans une chambre double, par exemple Unité de Gériatrie Aigue. Cela est appréciable notamment en période hivernale, au vue de la disponibilité limitée des chambres simples.
– On peut autoriser un retour à domicile après 24h d’observation UHCD pour un patient qui a une IRB sans signes de gravité ou sepsis, pour qui la PCR virale est positive et la PCT basse.
Dans cette étude observationnelle sur 462 patients, le sens clinique de nos médecins urgentistes était plutôt bon, lorsqu’ils suspectaient un virus (syndrome pseudo-grippal évoqué), dans 46% des cas c’était confirmé par la PCR. Cependant les attitudesthérapeutiques (isolement et prescription d’antibiotiques) n’ont pas été toujours logiques et rationnelles. En effet, l’isolement a été instauré pour seulement 22% des patients qui auront au final une PCR virale positive. De plus, 46 antibiothérapies auraient pu être évitées si on avait respecté le fait que la PCT était basse et qu’on avait identifié un virus. »
résume le Professeur Hausfater.
Ceci montre bien le besoin d’outils diagnostiques avec une forte valeur ajoutée qui permettent un diagnostic de certitude.
Après l’étude observationnelle, un essai clinique randomisé PROARRAY mis en place [5].
Cette étude monocentrique prospective, en cours d’inclusions, prévoit le recrutement total de 444 patients avec une suspicion d’IRB. L’objectif de PROARRAY est de mesurer l’impact d’une approche bidirectionnelle couplant le diagnostic syndromique BioFire délocalisé aux urgences et la PCT sur l’exposition des antibiotiques.
Le SARS-CoV-2, a-t-il changé quelque chose… ?
« La pandémie COVID-19 et le virus SARS-CoV-2 ont augmenté l’acceptabilité des écouvillons nasopharyngés par les patients aux Urgences et propulsé la PCR en temps réel qui est devenu ou doit devenir un examen de routine dans la prise en charge des IRB en général » témoigne le Professeur Hausfater. « Cette pratique permet d’attendre le résultat avant de prescrire un antibiotique, ou d’arrêter une antibiothérapie de manière précoce pour diminuer la pression de sélection et donc l’apparition de résistance. »
L’épidémiologie des infections respiratoires ne cesse de bouger au cours du temps, il y a un moment où nous allons revenir à une situation épidémiologique de base avec une co-circulation des virus respiratoires et le niveau bas de SARS-CoV-2. Cliniquement, il n’existe pas de différence significative entre métapneumovirus, rhinovirus, grippe, SARS-CoV-2 et autres virus respiratoire, d’où l’intérêt d’une approche multiplexe pour le diagnostic précis d’IRB. [6]
« J’insiste sur notre responsabilité, en tant qu’urgentistes, sur l’introduction d’une antibiothérapie qui est par la suite difficile à arrêter par nos collègues cliniciens d’aval. Nous avons vraiment un rôle primordial et pédagogique, en tant que point d’entrée du patient à l’hôpital, pour l’utilisation la plus rationnelle possible des antibiotiques. »
conclut le Pr. Hausfater.
Le Professeur Hausfater est partisan de cette double approche basée sur l’identification syndromique par la PCR multiplexe rapide tout en regardant la réponse de l’hôte à l’infection avec un biomarqueur comme la PCT.
[1] Albrich WC, Harbarth S. Pros and cons of using biomarkers versus clinical decisions in start and stop decisions for antibiotics in the critical care setting. Intensive Care Med. oct 2015;41(10):1739‑51.
[2] Evans L. et al. Surviving sepsis campaign: international guidelines for management of sepsis and septic shock 2021. Intensive Care Med
[3] Schuetz P. et al: Procalcitonin Algorithms for Antibiotic Therapy decisions. Arch Intern Med 2011; 171 (15): 1322-1331
[4] Canavaggio P, Boutolleau D, Goulet H, Riou B, Hausfater P. Procalcitonin for clinical decisions on influenza-like illness in emergency department during influenza a(H1N1)2009 pandemic. Biomarkers. févr 2018;23(1):10‑3.
[5] Essais cliniques sur Infections des voies respiratoires: Film Array RP2 Assay guidé – Registre des essais cliniques – ICH GCP [Internet]. [cité 25 mai 2021]. Disponible sur: https://ichgcp.net/fr/clinical-trials-registry/NCT03840603
[6] Faury H, Courboulès C, Payen M, Jary A, Hausfater P, Luyt C, et al. Medical features of COVID-19 and influenza infection: A comparative study in Paris, France. J Infect. févr 2021;82(2):e36‑9.