clinicien

NEPHROCHECK® : réduire le fossé entre la littérature et la pratique clinique

Au cours de la 7e édition des Journées CAPSO, qui s’est tenue à Bordeaux, les 12 et 13 décembre 2019, le Pr Thomas Rimmelé est intervenu pour présenter l’intérêt du test NEPHROCHECK® et la spécificité des deux biomarqueurs qui le constituent.

L’insuffisance rénale aiguë (IRA) est un syndrome fréquemment rencontré dans la pratique clinique, qui engendre des complications potentiellement graves. Elle englobe tout le spectre de la dysfonction rénale aiguë, des altérations mineures du débit de filtration glomérulaire au besoin de remplacement du rein, et représente un facteur de risque important de surmorbidité et de surmortalité.

Actuellement, son diagnostic est établi sur la base de deux critères fonctionnels (créatinine sérique et diurèse), selon la classification KDIGO (Kidney Disease Improving Global Outcome).

« Ces marqueurs sont peu sensibles et peu spécifiques, et la constatation d’une altération rénale sur ces critères est souvent trop tardive pour permettre d’optimiser les thérapeutiques »

Pr Thomas Rimmelé, chef du service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital Edouard Herriot à Lyon, invité au congrès CAPSO à Bordeaux.

Aussi, la recherche se poursuit. L’idée étant de trouver un biomarqueur sérique ou urinaire capable de détecter précocement l’IRA, à l’instar de la troponine dans le syndrome coronarien aigu. Mais, si depuis une quinzaine d’année, plus de 2500 publications sur ‘l’insuffisance rénale aiguë et les nouveaux biomarqueurs’ ont été référencées sur Pubmed, la pratique clinique face à l’insuffisance rénale aiguë n’a presque pas évolué.

« Ce fossé entre littérature et pratique clinique est un véritable paradoxe »

Pr Rimmelé

NEPHROCHECK®, un biomarqueur de l’IRA,
très spécifique de l’IRA

L’histoire de la recherche de nouveaux biomarqueurs de l’IRA commence, selon le Pr Rimmelé au début des années 2000. À cette époque, certains marqueurs comme l’interleukine 18 ou les ARN messagers de la neutrophil-gélatinase associated lipocalin (NGAL) laissent entrevoir des perspectives encourageantes quant à la détection précoce de l’IRA.

« Jean-Michel Constantin (1) a montré en 2009 que le NGAL était capable de prédire l’IRA chez des patients en réanimation, avec une sensibilité et une spécificité, respectives de 82 % et 97 % (aire sous la courbe = 0,92 ; P = 0,001) »

Pr Rimmelé

Il sera cependant prouvé par la suite que le NGAL s’élève aussi en cas de sepsis.

L’histoire se poursuit en 2013, année de publication de l’étude Sapphire (2), « qui fait connaître au monde entier ce nouveau biomarqueur de l’IRA, le NEPHROCHECK®, issu de l’association de TIMP-2 (l’inhibiteur tissulaire de la métalloprotéinase 2) et de l’IGFBP7 (la protéine 7 de liaison au facteur de croissance analogue à l’insuline) », évoque le Pr Rimmelé. Menée pendant 2 ans dans 35 centres auprès de 744 patients, l’étude Sapphire montre une excellente performance du test NEPHROCHECK® pour la prédiction de l’insuffisance rénale dans les 12h suivant le prélèvement. (L’aire sous la courbe était de 0,80 dans les 12 heures suivant le test, tandis qu’elle était de 0,71 ou moins pour les autres biomarqueurs (IC95 de 0,57 à 0,81)).

« Une performance bien meilleure que celle de tous les autres biomarqueurs qui existaient à l’époque »

Pr Rimmelé

« Pour la première fois, nous avions de véritables biomarqueurs précoces (TIMP-2 et IGFBP7), spécifiques de l’IRA, qui s’élèvent uniquement dans cette situation clinique, contrairement au NGAL ». D’autres études ont suivi l’étude SAPPHIRE et ont permis de fixer à 0,3 [ng/ml]2/1 000 la valeur seuil de significativité clinique du test NEPHROCHECK® pour la détection du risque d’IRA (3-4).

« Ainsi, le NEPHROCHECK® est désormais considéré comme un marqueur infraclinique précoce représentatif d’une agression rénale, contrairement à la créatinine, qui est un marqueur fonctionnel tardif de dommage rénal »

Pr Rimmelé

Une utilisation encore trop faible du NEPHROCHECK® en pratique clinique

Malgré toutes ces études favorables, ces biomarqueurs de souffrance rénale que constituent TIMP-2 et IGFBP7 ont dû faire face à la réalité du monde hospitalier.

« Certains ne voyaient pas l’intérêt de déceler une insuffisance rénale aiguë précocement ou avaient l’impression de faire déjà tout leur possible dans leur pratique pour la prévenir. D’autres considéraient le test NEPHROCHECK® comme destiné à la recherche. D’autres encore ont soulevé la question de son coût, obstacle important à la pratique quotidienne »

Pr Rimmelé

En 2014, la Food and Drug Administration des États-Unis a autorisé la commercialisation de NEPHROCHECK® pour déterminer le risque de développer une IRA modérée ou sévère chez certains patients gravement malades. Il a depuis été appliqué dans de nombreux hôpitaux des États-Unis, et notamment dans l’hôpital Waterman en Floride, afin d’améliorer l’identification des patients à haut risque d’IRA et ainsi pouvoir les prendre en charge plus rapidement, tout en testant sa rentabilité. Au sein de cette clinique, le Dr Guzzi a établi un protocole à suivre en cas de test NEPHROCHECK® supérieur à 0,3. Il s’agit notamment « de réaliser un monitorage hémodynamique, de suspendre les médicaments néphrotoxiques, de recontrôler la créatinine et la diurèse et de retester le NEPHROCHECK® à intervalles réguliers » chez des patients choqués, en insuffisance cardiaque décompensée, en détresse respiratoire aiguë ou oliguriques.

En 2019, ce médecin et d’autres experts ont publié des recommandations portant sur l’utilisation en pratique clinique (5).

« Des patients prioritaires ont été définis (les patients de chirurgie cardiaque, en état de choc, septiques, de chirurgie non cardiaque sévère ou après un arrêt cardiaque) et un protocole d’utilisation du NEPHROCHECK® ont été proposés dans cette publication »

Pr Rimmelé

En parallèle, d’autres auteurs ont étudié les impacts médico-économiques de l’utilisation de ce test pour l’identification des patients à haut risque de développer une IRA modérée à sévère. Les résultats de leur modèle ont démontré que l’utilisation du NEPHROCHECK® pouvait « réduire les coûts pour les hôpitaux de 1 578 $ par patient testé » (6).

La littérature récente ouvre à nouveau le débat

Depuis 2017, deux publications majeures ont rapporté que la prévention de l’IRA était possible grâce à l’utilisation du NEPHROCHECK® sur des patients en post-opératoires. La première, l’étude monocentrique PrevAKI (7) menée par l’équipe allemande du Pr Zarbock sur 276 patients, visait à examiner si une série de gestes médicaux (optimisation du volume et de l’hémodynamique, évitement de médicaments néphrotoxiques et prévention de l’hyperglycémie) chez les patients à haut risque, présentant un NEPHROCHECK® supérieur à 0,3, avait un impact sur l’incidence et la sévérité d’IRA dans les 72 heures suivant la chirurgie cardiaque.

« L’IRA a été significativement réduite, lorsque ces mesures de prévention étaient réalisées, son taux étant de 55 % contre 71 % dans le groupe témoin (IC95 (5,5-27,9%) ; p = 0,004). C’est la première étude qui a montré l’impact du NEPHROCHECK® dans un protocole clinique. »

Pr Rimmelé

La seconde publication (8), monocentrique également, visait à comparer les soins d’optimisation rénale (optimisation précoce de l’état des fluides, maintien de la pression de perfusion, arrêt des agents néphrotoxiques) aux soins standard en unité de soins intensifs. Elle concernait 121 patients présentant un risque accru d’IRA, selon le test NEPHROCHECK®, après une chirurgie abdominale majeure. La prédiction précoce basée sur ce test, suivie de la mise en œuvre de ces soins optimisés a « réduit la gravité de l’IRA, l’augmentation de la créatinine postopératoire, la durée des soins intensifs et le séjour à l’hôpital des patients après une chirurgie non cardiaque majeure. L’intervention a, en outre, été associée à une baisse des coûts hospitaliers ».

Après ces deux études monocentriques, « des études multicentriques sont attendues », mentionne le Pr Rimmelé. L’équipe allemande du Pr Zarbock en pilote d’ores et déjà une, intitulée PrevAKI II.

« Il n’est désormais plus possible de soutenir que le test NEPHROCHECK® n’a pas d’intérêt clinique, conclut le Pr Rimmelé, mais il faut maintenant définir les conditions d’utilisation de ce test. Dans quelle situation clinique l’utiliser ? À quel moment le doser ? Et pour quelle sous-catégorie de patient ? »


Bibliographie

(1) Plasma neutrophil gelatinase-associated lipocalin is an early marker of acute kidney injury in adult critically ill patients : A prospective study, Jean-Michel Constantin. Journal of critical care 25(1):176.e1-6 · September 2009 

(2) Discovery and validation of cell cycle arrest biomarkers in human acute kidney injury. Kashani K. et al. Crit Care.2013 ; 17(1):R25.

(3) Validation of cell-cycle arrest biomarkers for acute kidney injury using clinical adjudication. Bihorac A. et al. Am J Respir Crit Care Med. 2014 Apr 15;189(8):932-9.

(4) Derivation and validation of cutoffs for clinical use of cell cycle arrest biomarkers. Hoste E.A. et al. Nephrol Dial Transplant (2014) 29: 2054–2061

(5) Clinical use of [TIMP-2]•[IGFBP-7] biomarker testing to assess risk of acute kidney injury in critical care: guidance from an expert panel. Guzzy LM et al. Critical Care. 2019 Jun 20;23(1):225.

(6) Economic and clinical benefits of early identification of acute kidney injury using a urinary biomarker. Berdugo MA et al. J Med Econ. 2019 Dec;22(12):1281-1289.

(7) Prevention of cardiac surgery-associated AKI by implementing the KDIGO guidelines in high risk patients identified by biomarkers : the PrevAKI randomized controlled trial. Meersh M. et al. Intensive Care Med. 2017 Nov;43(11):1551-1561.

(8) Biomarker-guided Intervention to Prevent Acute Kidney Injury After Major Surgery: The Prospective Randomized BigpAK Study. Göcze et al. Ann Surg. 2018 Jun;267(6):1013-1020.

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