Biologie hospitalière

La résistance aux antibiotiques :
une menace pour la santé publique

Emilie HAROC’H MAIREY
Référente Antimicrobial Stewardship France


En France, il a été dénombré près de 125.000 infections à bactéries multi-résistantes en 2015, dont 63% étaient associées aux soins, et plus de 5500 décès [1].

« La résistance aux antibiotiques est l’une des plus grandes menaces pour la santé mondiale aujourd’hui et elle continue de grandir chaque année. Il est estimé, et c’est une estimation basse, que d’ici 2050, 10 millions de décès par an seront liés à la résistance aux antibiotiques ».

Dr. Mark Miller, Directeur des Affaires Médicales, bioMérieux

Les infections à bactéries résistantes aux antibiotiques menacent notre médecine moderne. Si rien n’est fait, le phénomène de l’antibiorésistance pourrait mettre à bas des décennies de progrès en médecine [2].

La résistance aux antibiotiques : un impact médical et financier important

Une étude menée à partir de la base de données PMSI de 2016 a permis de dénombrer près de 140.000 infections à bactéries multi-résistantes en France [3].

« La résistance aux antibiotiques est à l’origine de séjours prolongés à l’hôpital, de soins médicaux plus chers et peut augmenter le risque de décès suite à une infection » .

« Avec l’augmentation de la résistance aux antibiotiques, même les infections courantes telles que les infections urinaires pourraient devenir incurables. De fait, si la résistance aux antibiotiques devient plus fréquente, des chirurgies communes ou des chimiothérapies anticancéreuses pourraient devenir difficiles, voire impossibles à cause du risque d’infection ».

Dr. Mark Miller

Lors de son intervention à la RICAI 2019, le Pr. Pulcini, Cheffe de projet national à l’antibiorésistance, a insisté sur l’impact de l’antibiorésistance qui « représente également un véritable fardeau financier pour notre système de santé ». D’après les résultats d’une étude française, le coût de l’antibiorésistance s’élevait à 109 M€ en 2015 pour les séjours codés en totalité (données PMSI), soit un surcoût moyen additionnel de 1103€ par séjour et une durée de séjour supplémentaire de 1,6 jours en moyenne (pouvant aller jusqu’à 3 jours pour les infections respiratoires basses). Une extrapolation de la base complète a montré que la dépense globale pourrait s’élever à 287 M€ pour l’Assurance Maladie [4].

La solution : les programmes d’Antimicrobial Stewardship

La solution retenue par la communauté scientifique et médicale internationale, pour lutter contre l’antibiorésistance, est couramment nommée «Antimicrobial stewardship », souvent traduite en français par « bon usage des antibiotiques ».  Le terme de « stewardship » définit l’activité de protéger et d’être responsable de quelque chose.  « Antimicrobial stewardship » implique donc des pratiques visant à encourager une utilisation appropriée et prudente des antimicrobiens. Un usage prudent et responsable des antibiotiques repose notamment sur le choix du bon antibiotique, pour la bonne indication, par la bonne voie d’administration, à la juste dose et pendant la bonne durée. Le challenge consiste donc à sélectionner, le plus rapidement possible, le meilleur traitement antibiotique qui permettra d’une part de maximiser le succès clinique pour le patient en minimisant les effets secondaires et, d’autre part, de réduire l’émergence de résistances et leur transmission au sein de la communauté. Bien utiliser les antibiotiques, c’est par conséquent trouver le juste équilibre entre les bénéfices pour le patient et ceux pour la communauté.

Afin de rendre les actions plus efficientes et pérennes dans le temps, les experts recommandent aux établissements de développer des « programmes de bon usage des antibiotiques ». Ces programmes reposent sur une série d’actions complémentaires : (1) la nomination d’un référent en charge du programme, (2) la mise en place d’une équipe pluridisciplinaire composée à minima d’infectiologue(s), de pharmacien(s) et de microbiologiste(s), (3) l’implication de la Direction pour assurer les moyens et les ressources nécessaires aux professionnels, (4) l’évaluation des prescriptions d’antibiotiques, la surveillance des résistances bactériennes et la diffusion des résultats pour guider les actions, (5) l’utilisation d’outils efficaces (protocoles de traitements, systèmes informatiques d’aide à la prescription, outils pour la dispensation contrôlée et la réévaluation des traitements) et (6) la formation de l’ensemble du personnel impliqué [5]. Les bénéfices de ces programmes pour les établissements sont multiples : diminuer le taux de résistance aux antibiotiques, améliorer le devenir et la sécurité des patients et réduire les coûts de santé.

L’utilisation des antibiotiques en France : des améliorations attendues

La résistance aux antibiotiques
Source: https://www.ricai.fr/photos2019

En France, « 80% des antibiotiques sont prescrits en ville (70% par les médecins généralistes, 10% par les dentistes) et 20% sont prescrits à l’hôpital (1/3 pour les patients hospitalisés, le reste correspond à des prescriptions de sortie ou des patients vus en consultation) »

« Tous les audits sur la pertinence des prescriptions amènent à la même conclusion : 1/3 des prescriptions sont inutiles, 1/3 sont inappropriées, et seulement 1/3 sont appropriées. Il existe donc une marge d’amélioration importante ».

Pr. Pulcini

Malgré plusieurs campagnes de communication depuis plus d’une dizaine d’année, les antibiotiques restent encore largement utilisés. La France fait toujours partie des pays européens les plus gros consommateurs d’antibiotiques [6].

Le plan d’action national

La lutte contre l’antibiorésistance repose sur 2 piliers : le bon usage des antibiotiques d’une part, et la prévention et le contrôle de l’infection d’autre part.

« Ces 2 stratégies sont coût-efficaces et peuvent faire faire des économies d’un point de vue sociétal [7]. Depuis 2016, la France a mis en place une feuille de route interministérielle (impliquant 7 Ministères), qui décline la stratégie nationale pour la maîtrise de l’antibiorésistance dans notre pays. Celle-ci est organisée autour de 40 actions, regroupées en 6 grandes thématiques : communication & information, prévention & contrôle de l’infection, bon usage des antibiotiques, surveillance, recherche & innovation, actions internationales ».

Pr. Pulcini

Concernant l’Antimicrobial Stewardship (bon usage des antibiotiques), Santé Publique France travaille actuellement sur plusieurs projets. Le premier porte sur le développement d’un réseau de centres régionaux en antibiothérapie (à ce jour, seulement six régions possèdent des centres financés).  Santé Publique France encourage également l’établissement de recommandations d’antibiothérapie de durée la plus courte possible dans les infections les plus courantes, en mettant en relation les sociétés savantes avec la HAS.

Un autre projet a pour objectif d’évaluer la faisabilité en France d’une dispensation des antibiotiques à la durée de prescription, en modifiant par exemple la taille des conditionnements. Santé Publique France va poursuivre la promotion des tests de diagnostic rapide (avec notamment l’accès facilité du TROD angine dans les pharmacies) et souhaiterait mettre en place des expérimentations sur d’autres tests rapides pouvant être utiles pour le bon usage des antibiotiques en EPHAD, en ville et aux urgences. Enfin l’antibiogramme ciblé fait l’objet de nombreuses échanges, avec les sociétés savantes et la HAS, mais également les éditeurs de SIL et de middleware pour adapter les logiciels. L’Assurance Maladie poursuit par ailleurs ses actions déjà initiées depuis plusieurs années. Elle a lancé une campagne nationale concernant le bon usage des antibiotiques au travers de visites chez plus de la moitié des médecins généralistes en 2019. L’Assurance Maladie a également innové par la mise en place d’un plan personnalisé d’accompagnement, destiné aux plus gros prescripteurs, sur la base d’échanges autour de cas cliniques. L’évaluation de cette nouvelle stratégie est actuellement en cours et les premiers résultats seront présentés en 2020. Enfin, elle a mis à disposition une ordonnance de « non-prescription » afin d’aider les médecins généralistes à résister à la pression de certains patients.

Le diagnostic, un facteur clé pour lutter contre l’antibiorésistance

« bioMérieux, en tant qu’acteur mondial du diagnostic des maladies infectieuses, a fait de l’usage raisonné des antibiotiques l’une de ses priorités»

Alexandre Mérieux, PDG

Aujourd’hui, 75 % des investissements de bioMérieux pour améliorer ses produits sont dédiés à la lutte contre la résistance bactérienne. Cette priorité stratégique se traduit par une offre de diagnostic très large, qui permet la confirmation de l’infection bactérienne (Vidas® Brahms PCT, BioFire®), l’identification du pathogène en cause (BioFire®, Vitek)®, la détermination de son profil de résistance (Vitek®, Carba NP), le monitoring de la réponse du patient à l’antibiothérapie (Vidas® Brahms PCT), la surveillance épidémiologique (Myla®) et le contrôle des infections associées aux soins (Episeq®). Toutes ces solutions diagnostiques ont un objectif commun : apporter des résultats aux médecins afin de leur permettre de faire les meilleurs choix en terme d’antibiothérapie, à tous les stades du parcours de soins de leurs patients.

Afin de compléter son offre, bioMérieux a signé un partenariat avec la société LUMED, une start-up canadienne, qui a développé un logiciel d’aide à la prise de décision à l’attention des équipes hospitalières en charge du bon usage des antibiotiques. Cette solution a pour objectif d’améliorer et de maximiser les ressources et le travail de ces équipes. Elle est d’ores et déjà implantée dans plusieurs hôpitaux au Canada et a montré un impact positif sur la réduction des prescriptions inappropriées, la durée de séjour et les coûts [8].

BioMérieux collabore aussi avec l’industrie pharmaceutique pour le développement de nouveaux antibiotiques. Cela a notamment été le cas avec Pfizer pour l’étude de surveillance iCREST. Ce projet, mené grâce à des produits de bioMérieux, a étudié le poids des bactéries résistantes aux carbapénèmes et évalué l’efficacité du Zavicefta de Pfizer pour traiter les infections graves.

Enfin, dans le cadre de projets financés par la Commission européenne, bioMérieux est partenaire du projet Combacte-CDI (Combatting Bacterial Resistance in Europe) consacré à la lutte contre les infections à « clostridium difficile ». « Et, explique Jean-Louis Tissier, responsable des affaires publiques et gouvernementales chez bioMérieux, nous sommes co-coordonnateur, avec l’Université d’Anvers et le Wellcome Trust, du projet ValueDx d’évaluation de la valeur médico-économique et de santé publique des tests de diagnostic dans la lutte contre les résistances dans le cas des infections respiratoires aiguës. » 

Extrait de Les Echos, publié le 11 févr. 2020



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