Le 1er juin 2020, dans un communiqué de presse (1) , Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), faisait ce constat alarmant : « alors que nous rassemblons davantage de données, nous constatons de façon plus évidente et plus inquiétante à quelle vitesse nous perdons des médicaments antimicrobiens essentiels partout dans le monde. » Ce n’est pas la première fois que l’OMS alerte quant au phénomène de la résistance bactérienne aux antibiotiques, loin de là, mais le contexte de la pandémie de COVID-19 rend son appel plus urgent encore.

Comme l’explique Santé Publique France, les infections virales respiratoires, comme la COVID-19, font l’objet de nombreuses prescriptions d’antibiotiques, soit par difficulté de diagnostic différentiel avec des infections bactériennes respiratoires, soit par crainte de complications par surinfections bactériennes (pourtant rares) (2) . Ces prescriptions augmentent inutilement la pression de sélection sur les bactéries et participent à l’apparition et la dissémination de résistances aux antibiotiques.

La crainte de la surinfection bactérienne

Concernant la COVID-19 en particulier, des études menées dans neuf pays et régions d’Europe montrent que l’utilisation – souvent inappropriée – des antibiotiques a augmenté tout au long de la pandémie, suivant la courbe de prévalence (3) . Le professeur Laurence Armand-Lefevre, responsable du laboratoire de bactériologie de l’hôpital Bichat à Paris confirme ces observations. « Nous avons très vite constaté que les patients COVID étaient mis sous antibiotiques de façon presque systématique. Une étude réalisée dans notre hôpital montre que presque la totalité des patients arrivés aux urgences et qui passaient en réanimation étaient sous antibiothérapie, majoritairement des céphalosporines de troisième génération. Au tout début de la maladie, les réanimateurs avait du mal à faire la différence entre COVID pur et surinfection pulmonaire de COVID. »

Les études européennes sur lesquels s’appuie l’OMS indiquent que des antibiotiques sont prescrits à 75 % des patients soufrant d’une forme sévère de la COVID-19, quand en réalité seuls 15 % développement une co-infection bactérienne qui nécessiterait une telle prescription. Cette « rareté » des surinfections est corroborée depuis par de nombreuses études, comme celle réalisée par Timothy Miles Rawson, de l’Imperial College à Londres, et publiée en mai 2020. Elle précise que 8 % des patients suivis dans le cadre de ces travaux ont une co-infection bactérienne ou fongique mais que 72 % reçoivent des antibiotiques (4).

Résistance bactérienne aux antibiotiques
Source : unsplash.com

Un phénomène mondial

Cette surconsommation d’antibiotiques n’a épargné aucune région du monde, pas plus que la pandémie. L’ONG Pew Charitable Trusts s’est penchée sur des données concernant environ 5 000 patients et 6 000 admissions à l’hôpital aux États-Unis entre février et juillet 2020 (5) . Les résultats montrent que plus de la moitié des admissions à l’hôpital pour COVID-19 ont donné lieu à au moins une prescription d’antibiotiques et 36 % ont entraîné la prescription de plusieurs antibiotiques à un même patient pendant son hospitalisation. Dans la plupart des cas, les médicaments ont été administrés avant la confirmation d’une infection bactérienne : pour 96 % des patients diagnostiqués COVID-19 qui ont reçu un antibiotique, le traitement a été donné dès l’admission ou dans les 48 premières heures de l’hospitalisation. En Afrique également la consommation s’est accrue et cette tendance s’explique notamment par l’intégration de la recommandation de prescription d’antibiotiques pour le traitement de la COVID19 dans plusieurs directives nationales. Des chercheurs basés au Nigeria, au Rwanda et au Royaume-Uni ont ainsi analysé les directives émanant de dix pays (6) : Ghana, Kenya, Ouganda, Nigéria, Afrique du Sud, Zimbabwe, Botswana, Libéria, Éthiopie et Rwanda. « Nos résultats ont révélé que divers antibiotiques, tels que l’azithromycine, la doxycycline, la clarithromycine, la ceftriaxone, l’érythromycine, l’amoxicilline, l’amoxicilline-acide clavulanique, l’ampicilline, la gentamicine, benzylpénicilline, pipéracilline/tazobactam, ciprofloxacine, ceftazidime, céfépime, vancomycine, méropénème et céfuroxime, entre autres, ont été recommandés pour la prise en charge de la COVID-19 », souligne l’étude.

Par endroits, des traitements en rupture d’approvisionnement

Cette surconsommation a même pu engendrer une rupture d’approvisionnement de certains antibiotiques. Cela a été le cas à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, comme en attestent les travaux publiés en septembre 20207 . « Face au pic épidémique de détresse respiratoire, nous sommes arrivés à une situation de rupture d’approvisionnement, précisent les auteurs de l’étude. Malgré une baisse de l’activité de l’hôpital, la consommation d’antibiotiques a augmenté de 19 % par rapport à l’année précédente sur la période mars – avril. Sont concernées les trois premières familles les plus importantes en consommation représentées par les pénicillines (+7 %), les associations avec inhibiteurs de bêta-lactamases (+17 %) et les céphalosporines (+30 %, principalement troisième génération), les carbapénèmes (+66 %) les macrolides (+138 %) et les anti-SARM (+48 %). L’impact de la pandémie de SARS-CoV-2 sur les consommations a été majeur, d’autant qu’au plus fort de la crise, la majorité des réanimations et des unités médicales n’accueillaient que des patients COVID-19. »

Des recommandations de bonne utilisation des antibiotiques face à la COVID-19

Les cliniciens se sont mobilisés face à ce constat de surconsommation et des recommandations sont attendues pour mieux guider la prescription d’antibiotiques pour les patients atteints par la COVID-19. « Le SRAS-CoV-2 va devenir un membre à long terme de l’écosystème microbien viral respiratoire, d’où l’importance d’avoir très vite toutes les réponses possibles concernant l’utilisation des antimicrobiens, estime Sunil Kumar Garg, spécialiste en soins intensifs à Dubai, dans son article sur l’usage inapproprié des antibiotiques paru en juin 2021 (8) . L’essai contrôlé randomisé ProSAVE notamment, étudie le rôle de la gestion des antibiotiques guidée par la procalcitonine (PCT) chez les patients atteints de COVID-19. »

À l’hôpital Bichat, ce sont les résultats de tests de biologie moléculaire Pneumonie BIOFIRE® qui ont permis de réduire la consommation d’antibiotique. « Le panel Pneumonie BIOFIRE® a eu un fort impact pour les patients moins graves, analyse Laurence Armand-Lefevre. Les réanimateurs, faisant confiance à notre circuit de rendu des résultats rapide en deux heures, ont alors pu attendre. Et chez les patients dont le test a été négatif, la moitié n’ont pas été mis sous antibiotiques ou leur traitement a été arrêté. »

L’espoir face à l’efficacité des mesures d’hygiène en médecine de ville

La seule bonne nouvelle serait, dans le même temps, la baisse de la prescription d’antibiotiques en médecine de ville. Le groupement d’intérêt scientifiques EPI-PHARE a en effet constaté, fin avril 2021, que « la forte baisse de la prescription de l’antibiothérapie s’est poursuivie avec une diminutions de 4,7 millions de traitements en 2021 (soit – 24,8 %), en lien avec la diminution de la circulation des virus (hors SARS-CoV-2) et autres agents infectieux, consécutive à la distanciation sociale et au port du masque (9) ».

Ces mesures pourraient bien s’avérer de plus en plus précieuses alors que ces dernières années de crise sanitaire ont continué d’éroder notre capital antibiotique. L’OMS a d’ailleurs rappelé dans un rapport (10) publié en avril dernier que parmi les 43 antibiotiques en cours de développement, aucun « ne résout suffisamment le problème de la résistance aux médicaments chez les bactéries les plus dangereuses du monde ».

(1) https://www.who.int/fr/news/item/01-06-2020-record-number-of-countries-contribute-data-revealingdisturbing-rates-of-antimicrobial-resistance

(2) https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/infections-associees-aux-soins-etresistance-aux-antibiotiques/resistance-aux-antibiotiques

(3) https://www.euro.who.int/fr/health-topics/disease-prevention/antimicrobialresistance/news/news/2020/11/preventing-the-covid-19-pandemic-from-causing-an-antibiotic-resistancecatastrophe

(4) https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32358954/

(5) https://www.pewtrusts.org/en/research-and-analysis/issue-briefs/2021/03/could-efforts-to-fight-thecoronavirus-lead-to-overuse-of-antibiotics

(6) https://tropmedhealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s41182-021-00344-w

(7) https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0399077X20303541

(8) https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8286398/

Articles complémentaires

Le rôle essentiel du diagnostic biologique dans le bon usage des antibiotiques

Lire

[PODCASTS] : Bon Usage des Antibiotiques. Faites le point avec les Affaires Médicales de bioMérieux

Lire

Infections respiratoires aux Urgences : mise en place d’un algorithme diagnostique basé sur la PCR multiplexe BioFire® et la PCT. Quel Impact sur l’amélioration de la prise en charge des patients ?

Lire

Comment optimiser l'antibiothérapie dans les infections respiratoires?

Lire

COVID-19: l'importance du diagnostic rapide

Lire