Biologie hospitalière

Quels outils de diagnostic biologique pour aujourd’hui et pour demain ? Panorama des solutions au service de l’hygiène hospitalière avec le Pr Jean-Winoc DECOUSSER, Professeur des Universités en hygiène hospitalière et responsable de l’EOH des hôpitaux universitaires Henri Mondor. Composé de cinq hôpitaux comptant plus de 2800 lits, l’hôpital Henri Mondor (APHP) couvre l’ensemble des disciplines médicales (hormis la gynécologie obstétrique et la pédiatrie). L’équipe d’hygiène appartient au Département de Prévention, Diagnostic et Traitement des infections, qui regroupe également l’ensemble des laboratoires de microbiologie (Bactériologie, Virologie, Parasitologie – Mycologie)  ainsi que l’Unité Mobile d’Infectiologie.

L’appétence des hygiénistes pour les solutions de diagnostic biologique

Dans son fonctionnement quotidien, l’hygiéniste est en lien direct avec le laboratoire, qui constituent la première source d’information concernant les infections associées aux soins (IAS) et les bactéries multirésistantes (BMR) et hautement résistantes et émergentes (BHRe). C’est à partir des données de diagnostic que les hygiénistes travaillent sur deux des principaux axes de leurs missions :

– L’alerte en cas de suspicion d’épidémie ou de présence de bactéries multirésistantes ;

– La surveillance, afin de fournir une évaluation globale du risque infectieux à l’hôpital et d’évaluer l’efficacité des mesures prises. Exemple : le suivi des bactériémies nosocomiales associées aux dispositifs invasifs, suivi réalisé à partir de l’identification des hémocultures positives.

« Pour les hygiénistes, le laboratoire est une source d’information irremplaçable, avec lequel il est indispensable de maintenir des liens étroits »

souligne le Pr Jean-Winoc DECOUSSER

Autre impératif pour l’hygiéniste: posséder une connaissance minimale des tests disponibles et de leurs performances pour pouvoir les interpréter.  C’est une compétence à développer en fonction du parcours de l’hygiéniste, qui peut avoir un profil de microbiologiste mais aussi d’infectiologue, de réanimateur, de pharmacien, de médecin de santé publique, etc.

L’intérêt du diagnostic rapide dans la prévention des épidémies

Les nouvelles techniques de diagnostic rapide sont particulièrement utiles pour une raison simple, précise le Pr Jean-Winoc DECOUSSER : « plus on isole vite un patient porteur de BHRe, mieux on évite les cas secondaires ». Un impact documenté et démontré par une étude particulièrement informative de l’AP-HP* :
« De ce point de vue, toute solution qui accélère le diagnostic est bienvenue ! ».

En parallèle de la prise en charge des patients porteurs de BHRe, le triptyque ‘Tester – Isoler – Tracer’ – est une stratégie qui a fait ses preuves pour pouvoir maitriser la circulation des virus. L’épidémie de COVID a ainsi mis en lumière l’importance des tests rapides pour « trier » et orienter les patients le plus rapidement possible afin de freiner la diffusion du virus dans les espaces communs des hôpitaux (chambre doubles, espaces communs d’attente et de tri aux urgences…)

Reste à savoir gérer les résultats

Si certains protocoles de prise en charge sont clairement établis (mise en place des précautions complémentaires « gouttelettes » pour les patients infectés par le virus de la grippe ou le virus respiratoire syncytial), la gestion des patients infectés par des coronavirus saisonniers et des rhinovirus est moins évidente, notamment dans un contexte de pénurie de chambre individuelle dans certains hôpitaux. Il en est de même pour la prise en charge des patients porteurs de bactéries entéropathogènes que les nouveaux panels permettent d’identifier. La Société Française d’Hygiène Hospitalière travaille actuellement sur la conduite à tenir face à ces microorganismes qui n’étaient pas diagnostiqués par le passé.

Les avantages des technologies d’approche syndromique

La contribution de l’approche syndromique est double : d’une part la capacité à mettre en évidence des organismes qui n’étaient pas recherchés de façon systématique jusqu’alors, et d’autre part la simplicité de la technique mise en œuvre. Fini les contraintes d’ouverture du laboratoire du lundi au vendredi, les analyses fournissent une vision globale du risque infectieux (virus, bactéries, champignons) et peuvent être mobilisées 7j/7 et 24h/24 tant leur mise en œuvre a été simplifiée, permettant leur utilisation au sein de laboratoire de garde par du personnel non spécialisé en biologie moléculaire.

« Le patient est mieux pris en charge tant d’un point de vue individuel que collectif quand on sait rapidement ce qu’il a. Dans le cas de l’hôpital Henri Mondor qui dispose de peu de places en chambre individuelle, ces panels nous permettent de les attribuer plus efficacement. » confirme le Pr Jean-Winoc DECOUSSER. 

« Sans oublier les cas de « rattrapage » rendus possibles par l’approche syndromique : un patient négatif au COVID-19 qui s’avère positif à la grippe sera isolé en chambre individuelle alors qu’il ne l’aurait pas été si le seul diagnostic COVID avait été réalisé »

Pr Jean-Winoc DECOUSSER

L’approche syndromique permet également de réduire la pression antibiotique puisque le traitement peut être adapté plus rapidement. « En revanche, nous manquons d’étude montrant l’impact clinique de ces évolutions technologiques » regrette le Pr Jean-Winoc DECOUSSER « ce qui permettrait de valider scientifiquement et de justifier économiquement le surcoût de ces solutions par rapport à une PCR ciblée.

L’antibiogramme rapide pour freiner la diffusion de l’antibiorésistance

Contrairement aux approches par PCR ciblées qui ne trouvent que les bactéries résistantes qu’elles recherchent, les technologies basées sur la phénotypie sont universelles : elles identifient toutes les bactéries résistantes à une classe d’antibiotiques, quel que soit le support génétique de la résistance. Résultat : un gain de temps important qui évite un grand nombre de cas contacts.

D’autant que le parcours hospitalier d’un patient considéré comme « contact » peut être fortement pénalisé : « les cas contacts BHRe obtiennent difficilement l’accès aux services de soins de suite et de réadaptation où les chambres sont rarement individuelles. » Refusés par ces établissements, ces patients sont contraints à un retour à domicile anticipé pouvant être dommageable pour leur prise en charge. La politique stricte d’identification des cas contacts est un succès collectif dans la maîtrise de la diffusion des BHRe mais elle peut nuire individuellement au parcours de soins des patients contacts :

« C’est un dommage collatéral de la politique très efficace de gestion des patients porteurs de bactéries hautement résistantes, que nous pouvons limiter grâce aux antibiogrammes rapides qui viennent compléter les stratégies par PCR ciblées. »

souligne le Pr Jean-Winoc DECOUSSER

Le potentiel du séquençage nouvelle génération

Les analyses provenant du séquençage à haut débit (ou séquençage de nouvelle génération – NGS) se sont démocratisées notamment en microbiologie clinique. La connaissance de l’ensemble des gènes de résistance présents chez une bactérie permet d’appréhender son phénotype de résistance aux antibiotiques, en remplaçant peut être un jour pour certaines espèces l’antibiogramme phénotypique.

– Par ailleurs le séquençage complet du génome bactérien obtenu par NGS remplace toutes les techniques historiques de comparaison de souches jusqu’alors très chronophages (comme l’analyse des profils de macro-restrictions en champ pulsé) avec une reproductibilité parfois médiocre et des critères d’interprétation peu standardisés. Il reste néanmoins à renforcer les capacités d’interprétation de ces résultats par les hygiénistes de terrain : un groupe de travail piloté par la Société Française d’Hygiène Hospitalière en collaboration avec la Société Française de Microbiologie travaille actuellement sur un guide d’interprétation des données de la comparaison de souches par séquençage de génome complet à destination des hygiénistes.

– L’utilisation du NGS pour des analyses métagénomiques non ciblées permet aujourd’hui de trouver un nouveau virus qui n’a jamais été identifié grâce à une recherche très large, et sans a priori, de séquences de micro-organismes.

A l’avenir, le NGS pourrait également être un outil précieux pour l’étude du microbiote intestinal, qui joue un rôle important vis-à-vis des bactéries multirésistantes aux antibiotiques. Comment arrivent-elle à coloniser le tube digestif d’un patient ? Pourquoi certains patients les éliminent rapidement et d’autres restent porteurs très longtemps ? Pourquoi certains vont s’infecter et d’autres pas malgré le caractère pathogène de la bactérie ? Une partie de la réponse à cette diversité de cas réside dans l’étude du microbiote intestinal, dont la capacité de résilience face aux BHRe est différente d’un patient à un autre.

« Le NGS va sans aucun doute contribuer à améliorer la connaissance d’un phénomène qu’on ne comprend pas pour l’instant… »

assure le Pr Jean-Winoc DECOUSSER

Diagnostic Stewardship : les limites du recours aux tests de diagnostic biologique

Premier risque face aux avancées technologiques : l’acharnement au diagnostic biologique. « Plus on fait de prélèvements, plus on fait des tests, plus on trouve des micro-organismes… qui parfois ne sont pas responsables d’infections et sont simplement le fait de la colonisation du patient ou de la contamination du prélèvement. » Qui dit plus de tests diagnostiques, dit davantage de suspicion d’infections et donc davantage d’antibiotiques. Il paraît donc essentiel de « réfléchir avant de prescrire tout examen microbiologique, du plus simple au plus complexe » : ne pas se précipiter à demander un examen complémentaire, avant  par exemple de connaître les autres résultats biologiques (biochimie, cytologie…) qui vont permettre de confirmer l’hypothèse d’un processus infectieux en cours.

Autre axe de vigilance : savoir interpréter les résultats pour prendre les décisions cliniques qui s’imposent, sans compter également la nécessité de maintenir un flux optimal avec le laboratoire : « A quoi bon disposer d’un test qui rend ses résultats en 1 heure s’il en faut 4 pour transmettre l’échantillon au laboratoire ? » constate le Pr Jean-Winoc DECOUSSER

Plusieurs conditions sont donc nécessaires à un diagnostic profitable et rentable pour le patient et la collectivité, conclue le Pr Jean-Winoc DECOUSSER : l’examen doit être correctement prescrit, réalisé rapidement et interprété par des relais sensibilisés capables d’en déduire les changements thérapeutiques à mettre en place. Car on ne fait jamais un test « juste pour voir » : le résultat doit servir au patient (adaptation du traitement) ou à la collectivité (cassure de la chaîne de transmission).

Le rôle à long terme de l’hygiéniste au sein d’un établissement de santé

L’hygiène de demain ? Elle passe par l’appropriation des techniques de séquençage de nouvelle génération et des différents domaines dans lesquels elles pourront être utilisées. En hygiène aujourd’hui, seule la bactérie est considérée, et de surcroît dans son caractère uniforme. La réalité est probablement plus complexe, plusieurs facteurs rentrent en jeu. Concernant l’infection, la réponse inflammatoire et immunitaire du patient gagnerait à être évaluée et modulée. L’analyse du microbiote intestinal du patient permettra d’apprécier le risque de colonisation par une BMR, la durée de cette colonisation et le risque de passage de la colonisation à l’infection. Un patient dont le microbiote a été dévasté par plusieurs cures d’antibiotiques aura ainsi une résilience diminuée face à une exposition à une BMR. La connaissance fine de la BMR impliquée permettra quant à elle d’anticiper sa capacité à générer des épidémies et donc d’adapter les mesures de prévention.  L’Objectif selon le Pr Jean-Winoc DECOUSSER : aller vers une hygiène personnalisée adaptée finement au patient, à son microbiote et au microorganisme concerné, de façon similaire au mouvement opéré en cancérologie ces 30 dernières années qui a ciblé et adapté à l’échelle génétique et moléculaire les traitements aux tumeurs concernées.

Comme évoqué, un des autres axes de progrès sera de ne plus considérer toutes les bactéries multirésistantes de la même manière car certaines espèces sont plus épidémiogènes que d’autres. Ainsi le Haut Conseil de Santé Publique a déjà bien séparé au sein des entérocoques résistants à la vancomycine ceux qui relèvent d’un risque maximum d’épidémie comme les E. faecium, et ceux pour lequel le risque est faible, comme pour E. faecalis. Cette approche relativement révolutionnaire, doit aller plus loin que la caractérisation des espèces en appréciant le potentiel épidémique au niveau de la souche ou du clone concerné. Certaines caractéristiques génétiques et phénotypiques favorisent probablement l’implantation, la diffusion et l’infection par certaines souches à cause par exemple de leurs capacités métaboliques ou à détruire via des bactériocines et autres effecteurs les autres bactéries « concurrentes ».

Les nouveaux outils de diagnostic permettront donc d’appréhender précisément les risques infectieux individuels et collectifs, et ainsi de mettre en place les moyens de lutte adaptés dans un contexte de ressources humaines, architecturales et matérielles limitées. Ceci impose que les recommandations soient ciblées et étayées scientifiquement pour qu’elles soient réalisables et acceptables par tous.

« Grâce au séquençage de nouvelle génération et aux outils faisant appel à l’intelligence artificielle, nous pourrons analyser le niveau de risque et renforcer ou alléger les procédures d’hygiène au cas par cas. » nous partage le Pr Jean-Winoc DECOUSSER.

L’hygiéniste est donc à l’aube d’une nouvelle ère où l’appréciation du risque infectieux et épidémique sera bien plus fine et individualisée. « Nous passerons de l’ère du prêt-à-porter pareil pour tous à celle de la haute couture faite sur mesure. »

* Efficiency of different control measures for preventing carbapenemase-producing enterobacteria and glycopeptide-resistant Enterococcus faecium outbreaks: a 6-year prospective study in a French multihospital institution, January 2010 to December 2015. Fournier S, Desenfant L, Monteil C, Nion-Huang M, Richard C, Jarlier V; AP-HP Outbreaks Control Group. Euro Surveill. 2018 Feb;23(8):17-00078. doi: 10.2807/1560-7917.ES.2018.23.8.17-00078.

Articles complémentaires

L’Antibiorésistance, au cœur du métier de l’hygiéniste depuis toujours !

Lire

Nouveau logiciel pour détecter les épidémies nosocomiales à l'hôpital

Lire

Résistance aux antibiotiques : combien de morts ?

Lire

Le rôle central et essentiel du diagnostic in vitro dans la lutte contre la résistance aux antibiotiques

Lire

Concentration Minimale Inhibitrice (CMI) et aide à la prescription

Lire

Programmes d’Antimicrobial Stewardship : le bon usage des antibiotiques

Lire