A ce jour, tous les laboratoires ont mis en place des stratégies de contrôle qualité afin de répondre aux objectifs de la norme ISO 15189. Cependant, les exigences en matière de qualité ne doivent pas enfermer le biologiste médical dans un rigorisme stérile, prévient le Dr Mathieu Kuentz du Centre hospitalier Henri Mondor à Aurillac, car la dérive vers la sur-qualité pourrait vite être atteinte !
Si l’on attend, à juste titre, du biologiste médical qu’il maîtrise l’ensemble des documents opposables et les dispositions du laboratoire, ainsi que l’ensemble des essais techniques afin d’en évaluer les risques, on attend aussi du spécialiste qu’il sache contourner les écueils de la sur-qualité en luttant contre la systématisation des méthodes de qualité.
« Il faut faire du cas par cas, et prôner une vraie variabilité en fonction de la technique et des exigences analytiques et médicales »
affirme Mathieu Kuentz lors des journées BIOMED-J 2020
« Les référentiels opposables définissent principalement des objectifs de suivi, et non des objectifs de moyens, autrement dit, tout moyen que le laboratoire aura trouvé pour maîtriser le risque pourra être accepté. Une fois ces exigences connues, on sait que l’on va trouver une variabilité et un besoin de variabilité propre à chaque laboratoire, à chaque technique, à chaque système analytique ».
« Partons de l’exemple suivant, introduit le Dr Mathieu Kuentz: un patient présentant un sepsis et traité par antibiothérapie a une PCT à H0 et une ré-évaluation de la PCT à H48 pour apprécier l’efficacité thérapeutique ». Le dosage de PCT est réalisé au laboratoire qui dispose de 2 automates VIDAS®3. Faut-il réaliser les 2 dosages sur le même lot ? Quid en cas de recalibration entre les deux mesures ? Et si les dosages ne sont pas réalisés sur le même automate ? La variation est-elle due à un succès ou à un échec thérapeutique ? Est-elle due à une variation inter-lot ou inter-automate ? Quels contrôles de qualité choisir, combien et quand faut-il les passer pour garantir des résultats de qualité aux prescripteurs ? Le Dr Kuentz nous explique son approche qualité.
VIDAS®, l’exemple typique de sur-qualité
En termes de stratégie de qualité, on trouve essentiellement la logique de la chimie liquide et celle des TDR (tests de diagnostic rapide). Le système VIDAS® se situe à mi-chemin entre les deux : plus proche des TDR avec son concept de test unitaire, il partage néanmoins une caractéristique des systèmes automatisés avec sa calibration. « J’ai pris le VIDAS® parce que c’est l’exemple typique de sur-qualité, introduit le Dr Kuentz. Sur de la chimie de routine (avec des automates type Cobas, Architect, Centaur), on a des séries qui vont souvent arbitrairement être faites en fonction d’une temporalité de contrôle, qu’on passe 2 à 3 fois par jour, sans vraiment regarder quels sont les volumes, si on a des dérives. Le VIDAS® se rapproche plus du test unitaire qu’à de la chimie liquide où le pipeteur va aller prélever dans le même flacon à chaque fois » explique le biologiste.
Le VIDAS® est en effet basé sur l’utilisation de cônes et barrettes à usage unique : la barrette, qui contient tous les réactifs nécessaires à la réaction, est scellées en usine, et le cône qui sert de système de pipetage fait également office de support réactionnel. Il n’y a pas de tubulure ni d’aiguille et donc pas de risque de contamination. Le lecteur est par ailleurs le même pour tous les compartiments. Le VIDAS® contrôle automatiquement son système optique toutes les deux heures sur l’air et toutes les 12 heures sur un contrôle interne pour évaluer sa stabilité et garantir l’absence de dérive.
« Début 2020, bioMérieux a mis à disposition de ses utilisateurs un certificat attestant la stabilité de la calibration sur toute la période de validité de la calibration. Il serait dommageable de vouloir reproduire la même stratégie que sur les autres automates, et il convient de trouver le juste milieu afin de ne pas réaliser inutilement trop de contrôles et ainsi pouvoir préserver nos techniques sur site, au plus près du patient ».
indique le biologiste
Quelle est la notion de série sur VIDAS®?
« La norme n’indique pas vraiment de durée ni de temporalité sur la notion de série, rappelle le Dr Kuentz. La définition d’une série selon le CLSI est le délai entre deux points critiques, autrement dit entre 2 modifications impactant le système analytique. C’est donc le delta de temps pendant lequel on a stabilisé et on maîtrise l’environnement analytique, précise le biologiste. Sous réserve de la maitrise des conditions environnementales, en termes d’utilisation et de conservation, la série théorique sur VIDAS® se résume donc à la durée de stabilité de la calibration ». Pour certains, cette temporalité pourrait paraître longue : « On se dit qu’il faut passer des contrôles internes de qualité tous les jours parce que si l’on a un rendu de résultat qui n’est pas bon, il va falloir changer la disposition thérapeutique. Pour autant, nous rendons un ionogramme, avec un CIQ que l’on a seulement 3 fois dans la journée, rappelle le biologiste. Quand un potassium n’est pas bon, on ne s’en rend compte qu’en fin de série. On appelle alors le prescripteur en lui indiquant que le potassium rendu il y a 3h n’était pas bon, mais au final il l’a déjà corrigé et a pris des décisions thérapeutiques ». La temporalité choisie pour une série doit donc être adaptée au risque et à la décision thérapeutique.
Mais si la durée de la série peut être longue, comme sur le VIDAS®, comment gérer la dissociation entre cette durée et la stabilité de l’analyse ou le rendu de résultat hors CQ de fin de série ?
« Le principal problème réside en ce point, est-ce un danger dangereux ? et quelle stratégie de passage de CIQ doit-on mener ? »
souligne le Dr Kuentz
Analyse de risque et Stratégie de passage de CQ
Afin de définir sa stratégie de CIQ, la littérature conseille de définir des événements critiques par analyseur et par analyse (pratique recommandée). Elle propose également comme pratique acceptable d’encadrer correctement ses séries sans identification des points critiques, et de libérer ses résultats avant les CIQ de fin de série (en ayant définit au préalable la conduite à tenir si ce dernier devait être non conforme).
Pour définir sa fréquence de passage des CQI, la littérature recommande de définir une stratégie pertinente en tenant compte de la robustesse. Elle propose également, en seconde option, un suivi de l’automate basé uniquement sur les paramètres les plus exigeants (pratique acceptable).
Plutôt qu’une différenciation par test, le Dr Kuentz a choisi « une maîtrise du risque de dérive au cours du temps, à l’aide de paramètres exigeants ». Avec l’aide d’autres contrôles internes de qualité (CQI), il est en mesure de tester la stabilité de son système analytique. « Avec le VIDAS®3, nous disposons de barrettes unitaires, ce qui nous garantit une absence de contamination. Le concept de l’automate et des réactifs VIDAS® nous affranchit aussi d’une maintenance quotidienne. Et nous disposons aussi d’une calibration certifiée stable par le fournisseur sur la durée de validité de la calibration. »
L’analyse de risque découle usuellement de l’évaluation de sa fréquence, de sa détectabilité, et de sa gravité afin de calculer un score. « Il s’agit ensuite, résume le biologiste, de lister les risques, d’attribuer des coefficients à chaque catégorie, et de mettre en place des mesures préventives proactives ou correctives, puis d’évaluer la criticité résiduelle après les moyens mis en œuvre. » L’analyse de risque est propre à chaque situation, technique, automate et analyte.
Au LBM du centre hospitalier d’Aurillac, il a été décidé, sur la base de cette analyse de risque, de supprimer le contrôle de qualité de fin de série sur VIDAS®. « Nous maîtrisons tous les facteurs qui peuvent modifier nos dosages sur cet automate et nous disposons d’un recul de plus de trois ans sur la robustesse de la technique, explique le Dr Kuentz, qui souligne qu’aucune reprise de patient n’a eu lieu au cours de ces 3 années, et ce avec les coefficients de variation (CV) définis comme de réel CV de suivi de qualité ».
Selon le Dr Kuentz, le risque est au contraire de passer trop de contrôles de qualité, d’emboliser les systèmes et/ou d’avoir des coûts de contrôle trop importants, et finalement de renoncer à ces techniques et d’être obligé de sous-traiter l’analyse.
« Lorsqu’on externalise, on peut avoir un délai de rendu de résultat très important, alors qu’avec une meilleure stratégie de contrôle qualité, on peut très bien internaliser l’analyse, la conserver et avoir un délai de rendu de résultat tout à fait compatible avec la prise en charge des patients et les besoins des prescripteurs »
Dr Kuentz du Centre hospitalier Henri Mondor à Aurillac
Contrôle de la comparabilité multi-analyseurs et des inter-lots de réactifs
Une fois que la série a été définie, deux autres variables doivent être étudiées : le changement de lots de réactifs et le changement d’automate. Le centre hospitalier d’Aurillac dispose de 2 VIDAS®3, sur lesquels la PCT est dosée. « Pour tester la comparabilité multi-analyseur, la littérature nous dit de (1) soit réanalyser des échantillons frais provenant de patients différents à des fréquences définies, (2) soit de passer des contrôles de qualité avec des limites acceptables communes aux différents analyseurs et réaliser des évaluations externes de qualité (EEQ) sur tous les analyseurs avec une interprétation intra-laboratoire », indique le biologiste, précisant sa préférence pour la deuxième option.
Concernant l’inter-lots, le Dr Kuentz rappelle les 2 actions à mener : le suivi des performances (CV, biais, incertitude), et l’évaluation de la variabilité inter-lots. « La variabilité inter-lot dépend du paramètre, de son utilité clinique et des volumes commandés » indique le biologiste. « Si l’on commande tous les réactifs à l’année d’un même lot, le contrôle qualité fournisseur (CQ dépendant) sera identique dans tous les coffrets et il sera alors possible de le suivre. Dans le cas contraire, il faudra intégrer une variable indépendante qui pourra être soit la repasse de patients entre 2 lots, soit la repasse d’un échantillon de patient à concentration connue, ou alors un CIQ indépendant. »
Règles de choix : fréquence de passages des contrôles internes de qualité
La pratique recommandée en matière de choix de CIQ est d’utiliser un contrôle interne de qualité indépendant et/ou en complément de celui du fournisseur. La pratique acceptable consiste, quant à elle, à utiliser uniquement les CIQ fournisseur de réactif et/ou de l’analyseur. « Dans ce dernier cas, si l’on a choisi le même lot à l’année, il sera alors possible de l’utiliser pour suivre les performances et réaliser l’évaluation de la variabilité inter-lots. Si en revanche, les lots sont différents, le CIQ fournisseur permettra de valider la calibration, et il faudra mettre en place une stratégie en parallèle basée sur une variable indépendante pour évaluer le suivi des performances au long cours et évaluer la variabilité entre les lots, prévient le Dr Kuentz, cette variable pouvant être au choix, selon l’analyte et sa stabilité, un CIQ indépendant, la repasse de patients ou un pool de patients ». La littérature permet en effet d’utiliser des pools de patients comme CIQ, ce qui s’avère particulièrement utile en sérologie (car stable très longtemps).
« Il ne faut pas oublier alors dans ce cas d’en tester la stabilité de conservation et de les utiliser comme de réels CIQ, c’est-à-dire avec une période probatoire »
souligne le biologiste
Concernant le nombre et les niveaux de contrôle, le biologiste recommande « d’utiliser des CIQ proches des valeurs seuils de décision médicale » et de « couvrir la gamme physiologique et pathologique ». Une pratique acceptable serait toutefois d’utiliser de manière alternée différents niveaux de CIQ, « à condition de se placer à distance des étalonnages afin de ne pas disposer que d’un seul point pour évaluer la réussite de l’étalonnage ».
Dans le cas d’un nouveau lot de CQI, le Dr Kuentz conseille de mettre en place une période de chevauchement d’une durée variable selon la durée d’utilisation du lot ou d’utiliser le nouveau lot le même jour que l’ancien en reprenant les CV antérieurs.
Concernant l’option reposant sur les repasses d’échantillons de patients, il faudra choisir des échantillons à différents niveaux de concentration et valider le re dosage, en vérifiant qu’il respecte 2,8 fois l’écart-type, avec l’écart-type réel de la technique.
Tout dépend ensuite de l’utilité clinique de la valeur du paramètre obtenue.
« Sur la stratégie de contrôle de qualité, je n’ai pas de choix arrêté sur le VIDAS® »
indique le Dr Kuentz
« En fonction de l’analyse, j’utiliserai soit un CIQ indépendant, soit un pool de patient, soit la reprise de patient puisque cela permet de répondre à une des exigences qui est la fidélité du contrôle par rapport à la maîtrise initiale (on sait très bien qu’un contrôle de qualité n’est pas égal à un sérum humain ou à un patient) : ces zones de chevauchement permettent de palier à ce risque-là. »
Quelques exemples …
Exemple des D-Dimères
« Pour cet examen, il n’y a aucun intérêt à suivre les valeurs des D-Dimères dans le temps, car chaque dosage est indépendant d’une situation clinique différente », souligne le Dr Kuentz, « et seule la valeur négative est informative ». « Il faudra donc passer les C1 et C2 (CQ VIDAS®) pour vérifier la bonne calibration, puis passer un CIQ indépendant au cours des 28 jours, et réaliser un suivi de performance analytique (CV et biais) uniquement », explique le biologiste. « Objectivement, nous n’avons pas besoin de savoir si c’est le lot qui a varié, entre les dosages du lundi et les dosages du vendredi, puisqu’il n’y a pas de suivi de la prise en charge thérapeutique sur cette variabilité de valeur. »
Exemple de la procalcitonine
Dans le cas de la PCT, que ce soit pour les infections respiratoires basses ou dans le cas d’un sepsis, il y a une utilisation clinique sur la base de la valeur de la PCT à un temps t (initiation ou arrêt de l’antibiothérapie) et une utilisation clinique de la cinétique du taux de PCT (maintien ou arrêt de l’antibiothérapie). Ainsi, le biologiste recommande plusieurs stratégies : « soit de prendre un CIQ indépendant doté d’un certain coût, soit de reprendre des patients entre l’ancien et le nouveau lot en créant une période de chevauchement, soit de créer un pool de patients en gérant sa stabilité ».
Dans le premier cas (CIQ indépendant), le Dr Kuentz estime nécessaire le passage annuel de 24 CIQ en provenance du fournisseur (C1, C2)) et de 24 CIQ indépendants (2 niveaux, 1 fois par mois. En tenant compte des changements de lots (du fait du volume d’activité), il comptabilise 150 à 200 CIQ nécessaires par an. « Pour des systèmes de chimie analytique où les maintenances étaient quotidiennes, il fallait 730 contrôles par an. Avec cette stratégie, nous divisons donc par 4 le nombre de contrôles nécessaires », affirme le biologiste.
Dans le second cas, il convient de créer une zone de temps afin de faire chevaucher les 2 lots, de manière à reprendre des patients avec le nouveau lot. « Il s’agit alors d’évaluer le nombre de patients à reprendre, de choisir les niveaux de valeur de PCT ainsi que la méthode qui va permettre de comparer les deux lots et de vérifier qu’on a le même sens de variation inter-lot», détaille le Dr Kuentz. « Il conviendra bien entendu de suivre et tracer la comparabilité inter-lot ».
Exemple de la sérologie toxoplasmose
Dans le cas de la sérologie toxoplasmose, la stabilité de la calibration est de 14 jours. « De la valeur du dosage sera extraite une utilisation clinique à un temps t et une utilisation clinique de la cinétique sur un temps beaucoup long ». Que l’on choisisse des CIQ indépendants, des patients avec un taux connu ou que l’on constitue un pool de patients proche du seuil (que l’on pourra réitérer sur toutes les utilisations au cours de l’année), « il sera possible dans tous les cas de réaliser un suivi des performances analytiques puisque l’on suivra ce contrôle de qualité », assure le biologiste. Quant à la variabilité inter-lots, elle pourra être évaluée grâce à l’index que l’on obtiendra entre les différents dosages, qui sera comparable entre le début et la fin d’année.
Exemple de la sérologie de lyme
Dans le cas de la sérologie lyme, la stabilité de la calibration est de 28 jours. Ce dosage n’a pas besoin de suivi en pratique clinique hormis proche des valeurs seuils.
Suivi des performances de la technique
Pour le suivi des performances de la technique« il va falloir faire le choix des limites acceptables, suivre régulièrement ses CV, réaliser un calcul régulier de l’incertitude de mesure et suivre la robustesse de la technique » recommande le Dr Kuentz. La pratique recommandée pour définir les limites acceptables consiste à utiliser le CV au long cours du laboratoire, proche du CV réel.
« Il est aussi possible de l’élargir, mais afin de détecter les tendances, sans dépasser l’objectif analytique du CV maximum retenu par le laboratoire pour la fidélité intermédiaire lors de la vérification de méthode »
précise Mathieu Kuentz
Pour la biochimie, il est possible de prendre le CV long term (issu des programmes d’EEQ) pour calculer l’incertitude de mesure.
Eviter la sur-qualité pour préserver la place des biologistes
« Il faut analyser les risques, pour les réduire, en prenant nos responsabilités de biologistes médicaux (de faire ou ne pas faire un examen), tout en maîtrisant bien entendu les coûts »
affirme le Dr Kuentz
« Il convient de garder à l’esprit le risque de faire une analyse, mais aussi celui de la sous-traiter et d’avoir un rendu de résultat tardif qui pourrait être impactant sur la prise en charge thérapeutique d’un patient ». Les biologistes médicaux ont des objectifs imposés : ceux suprêmes du patient en tant que praticiens, puis ceux normatifs. « Il faut oublier les exigences de moyens qui ne permettent pas de réfléchir sur de bonnes mises en place de la qualité au sein de son laboratoire » recommande le Dr Kuentz, qui conclut en rappelant qu’« il est crucial aujourd’hui de maitriser les référentiels, de prendre ses responsabilités de biologiste médical, pour éviter que la spécialité se transforme et évolue vers une industrialisation et un rôle purement analytique du biologiste. Eviter la sur-qualité permettra de préserver la place du biologiste dans sa spécialité médicale et sa place auprès du patient et du prescripteur ».