clinicien

Avril 2021 – Retour sur le symposium organisé par la SFAR (Société Française d’Anesthésie et de Réanimation). Le Pr. Thomas Rimmelé, Chef du service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital lyonnais Edouard Herriot, présente les développements de ces dernières années concernant les biomarqueurs de l’insuffisance rénale aiguë (IRA). Son intervention pose également une question cruciale : pourquoi une si lente adoption dans la pratique clinique ?

Les travaux de recherche menés ces vingt dernières années témoignent des grandes attentes des cliniciens et des promesses de l’industrie du diagnostic. Thomas Rimmelé évoque la période allant de 2003 à 2013, pendant laquelle les réanimateurs ont suivi de près les études, espérant l’arrivée de marqueurs plus robustes que la diurèse et la créatinine. De nouveaux marqueurs promettaient de prédire l’insuffisance rénale aiguë, d’orienter vers l’étiologie de la maladie, ou d’informer sur le pronostic d’insuffisance rénale aiguë (IRA). « Nous étions très intéressés par ces publications notamment sur les dosages de la protéine NGAL (Neutrophil Gelatinase-Associated Lipocalin) », se souvient le clinicien.

L’agression rénale, une étape préliminaire à la lésion rénale

En 2012, un nouveau stade pré-clinique de l’agression rénale nommé « subclinical Acute Kidney Injury » (IRA subclinique) est décrit dans une étude (1). Ce stade est défini lorsqu’il y a « un biomarqueur positif et que le patient n’est pas encore au stade 1 de la classification KDIGO (2), avec une créatinine et une diurèse dans les limites de la normale » précise Thomas Rimmelé. Ce signal d’agression rénale indique une situation « potentiellement grave et pouvant entraîner un mauvais pronostic chez nos patients », ajoute le clinicien. La reconnaissance de ce stade pré-clinique a ouvert la voie à des discussions autour de la classification KDIGO pour en améliorer la robustesse. « On pensait que ce serait intéressant d’avoir un seul marqueur fonctionnel – comme la créatinine – mais avec un marqueur d’agression tissulaire », se souvient Thomas Rimmelé.

La découverte du test NEPHROCHECK®, un test précoce et spécifique

Un an plus tard, en 2013, une étude (3) démontre la supériorité de la combinaison de deux biomarqueurs pour détecter l’agression tissulaire et le stress des cellules rénales : un inhibiteur tissulaire des métalloprotéases-2 (TIMP-2) et une protéine liant le facteur de croissance analogue à l’insuline (IGFBP7). La détection couplée de ces 2 biomarqueurs (à l’aide du test NEPHROCHECK®) « prédit l’apparition d’un AKI de stade 2 ou 3 (de la classification KDIGO) dans les douze heures qui suivent le prélèvement », explique Thomas Rimmelé.

Si la précocité de ce test est un atout majeur, sa spécificité en est un autre.

« Le NEPHROCHECK® s’élève uniquement en amont de l’insuffisance rénale aiguë. Il n’est pas perturbé par des comorbidités comme le sepsis, l’insuffisance rénale chronique, le diabète, l’insuffisance cardiaque ou l’hypertension »,

Thomas Rimmelé

Franchir le pont entre la recherche et la pratique clinique

« De 2013 à 2017, ces biomarqueurs ont été soumis à la dure réalité des finances de nos hôpitaux de par le monde », constate Thomas Rimmelé. « Certains confrères les jugeaient inutiles en pratique clinique, car ils ne savaient pas comment les utiliser ou s’ils allaient pouvoir changer la prise en charge du patient. Ils estimaient que les biomarqueurs n’auraient pas d’impact sur l’évolution de l’état de santé des patients, que les tests étaient trop chers, qu’il était toujours possible de suppléer la fonction rénale… ou que ces praticiens donnaient déjà le meilleur traitement possible à leurs patients. »

Les biomarqueurs souffrent du manquent d’études interventionnelles pour faciliter leur passage de la recherche à la pratique clinique.

Les dernières avancées depuis 2017 confirment les bénéfices des biomarqueurs de l’insuffisance rénale aiguë en pratique clinique

« Depuis 2017, nous sommes entrés dans une nouvelle phase d’espérance », rapporte Thomas Rimmelé. L’étude PrevAKI (4) a montré qu’il était possible de réduire l’incidence de l’insuffisance rénale aiguë chez les patients. Cette étude reposait sur une stratification des patients ayant subi une chirurgie cardiaque majeure, sur la base du résultat du test NEPRHOCHECK®. Les patients plus à risque (NEPHROCHECK® > 3) étaient randomisés en 2 groupes : un groupe contrôle recevant le traitement standard, et un groupe interventionnel recevant l’ensemble des mesures néphroprotectrices recommandées par KDIGO. Les résultats de cet essai ont montré une réduction de l’incidence d’IRA de stade 2 et 3 de près de 30% dans le groupe interventionnel (29,7% vs. 44,9% (p=0,009), ARR=15,2%).

En 2017, l’étude BigpAK (5) est réalisée avec la même démarche chez des patients de chirurgie lourde non-cardiaque. De nouveau, le test NEPHROCHECK® a permis de stratifier les patients devant « bénéficier de mesures néphroprotectrices précises, et diminuer l’incidence des IRA de stade 2 et 3», pointe Thomas Rimmelé.

Début 2021, les résultats de l’étude PrevAKI 2 (6), multicentrique et européenne, sont publiés : le taux d’IRA de stade 2 et 3 en post-opératoire diminue encore, passant de 24 % à 14 % dans le groupe interventionnel.

« Depuis cette littérature médicale récente, on ne peut plus dire que ces nouveaux biomarqueurs ne sont pas intéressants en pratique clinique, affirme Thomas Rimmelé. Les grands experts du rein dans le monde entier réfléchissent à élaborer une nouvelle classification de l’IRA qui prendrait en compte des critères d’agression rénale et plus seulement de fonction rénale. Il est donc probable dans les années à venir qu’un de ces biomarqueurs fasse partie de la définition de l’IRA. »

Chiffres clés

  • Depuis 2008, 3 000 publications sur les nouveaux biomarqueurs d’IRA
  • 350 publications en moyenne chaque année

Le bundle de soins néphroprotecteurs, un ensemble de mesures pour protéger les reins

Communément appelé bundle de soins néphroprotecteurs, ces mesures sont mises en place chez les patients à risque de développer une insuffisance rénale aiguë. Le groupe KDIGO recommande d’optimiser les paramètres hémodynamiques, d’éviter les traitements néphrotoxiques (essentiellement certains antibiotiques et anti-inflammatoires non stéroïdiens – AINS), de maintenir une glycémie normale, et de surveiller la créatininémie et la diurèse.

Simples en théorie, ces mesures sont en réalité difficiles à appliquer. La plupart des patients de réanimation entrent dans la catégorie « à risque » d’IRA, et la mise en place de ce bundle de soins ajoute une charge de travail importante pour le personnel (souvent déjà en manque de temps). Un biomarqueur pourrait alors aider à mieux stratifier les patients, c’est à dire identifier ceux étant les plus à risque, et ainsi faire bénéficier du bundle de soin à ceux qui en ont réellement besoin. Cela correspond d’ailleurs à l’évolution actuelle de la médecine à savoir une évolution vers une médecine dite de précision, plus individualisée, plus personnalisée.

(1) Subclinical AKI is still AKI, C. Ronco et al., Critical Care, 2012

(2) La classification KDIGO (Kidney Disease: Improving Global Outcomes) définit trois stades de l’IRA en fonction du dosage de créatinine sérique : stade 1 pour une augmentation de 50 %, stade 2 lorsque la créatinine double et stade 3 lorsqu’elle triple.

(3) Discovery and validation of cell cycle arrest biomarkers in human acute kidney injury, K. Kashani et al., Critical Care, 2013

(4) Prevention of cardiac surgery-associated AKI by implementing the KDIGO guidelines in high risk patients identified by biomarkers: the PrevAKI randomized controlled trial, M. Meersch et al., Intensive Care Medicine, 2017

(5) Biomarker-guided Intervention to Prevent Acute Kidney Injury After Major Surgery: The Prospective Randomized BigpAK Study, I. Göcze et al., Annals of Surgery, 2018

(6) Prevention of Cardiac Surgery-Associated Acute Kidney Injury by Implementing the KDIGO Guidelines in High-Risk Patients Identified by Biomarkers: The PrevAKI-Multicenter Randomized Controlled Trial, A. Zarbock et al., Anesthesia and Analgesia, 2021

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