L’épidémie de coronavirus a sans aucun doute (re)donné un « éclairage » sur le rôle majeur de l’hygiéniste dans la prévention et le contrôle des infections à l’hôpital.
Extrêmement sollicités pendant l’épidémie de la COVID-19, les hygiénistes veillent à ce que les mesures sanitaires en vigueur soient appliquées et proposent des
améliorations au quotidien pour réduire le risque infectieux.
Gros plan sur la gestion de l’antibiorésistance à l’hôpital avec le Dr Sara Romano-Bertrand, praticien hospitalier en microbiologie et hygiéniste au département d’hygiène du CHU de Montpellier.
En l’absence de données consolidées, aucun bilan des impacts de la crise COVID sur les infections associées aux soins et l’antibiorésistance n’est encore disponible
Malgré le manque de données qui rend compte de l’impact de la crise sanitaire sur l’antibiorésistance, plusieurs éléments peuvent néanmoins être discutés en attendant les résultats d’études confie le Dr Sara Romano-Bertrand.
- Une baisse de la diffusion bactérienne liée aux nombreux reports d’hospitalisations programmées, et de fait moins de patients susceptibles de transmettre une infection.
- Une période de sous-diagnostic en début de crise sanitaire, due à l’interruption des dépistages systématiques du portage de bactéries multi-résistantes aux antibiotiques notamment chez les patients en réanimation, a pu être interprétée comme une diminution du taux de bactéries résistantes à l’hôpital.
A l’inverse, plusieurs études montrent que la surcharge des secteurs de réanimation et la surutilisation des équipements de protection individuelle, comme les gants et les surblouses, ont favorisé les transmissions croisées fait remarquer le Dr Sara Romano-Bertrand. Les secteurs très impactés par le Covid pourraient rapporter une augmentation des infections associées aux soins et de l’antibiorésistance.
« surconsommation d’antibiotiques au début de la crise sanitaire pour prévenir ou traiter les patients victimes de surinfections respiratoires, avec des tâtonnements dans les prescriptions, a certainement entraîner des conséquences sur l’antibiorésistance. »
Dr Sara Romano-Bertrand
Dans quelques mois, l’Enquête Nationale de Prévalence des infections associées aux soins (IAS) livrera des éléments de réponse. Publiée tous les cinq ans, cette étude recense et décrit les IAS en France d’un point de vue épidémiologique. Elle permettra de comparer les infections causées par des bactéries résistantes et de détecter les éventuelles modifications dans l’évolution épidémiologiques pendant la crise sanitaire.
L’hygiéniste hospitalier en première ligne contre l’antibiorésistance
Le cœur de métier de l’hygiéniste ? La prévention et le contrôle des infections, un rôle complémentaire des infectiologues.
« En matière de la lutte contre l’antibiorésistance, nous sommes en première ligne avant l’arrivée de l’antibiorésistance puisque nous prévenons la survenue des infections, ce qui réduit de-facto l’usage des antibiotiques qui favorisent la résistance. »
Dr Sara Romano-Bertrand
L’hygiéniste joue donc un rôle essentiel en faveur de la prévention de l’évolution de l’antibiorésistance.
C’est aussi un métier de l’ombre que la pandémie a mis sur le devant de la scène en montrant l’importance des mesures d’hygiène dans la prévention de la transmission des maladies. Le Dr Sara Romano-Bertrand rappelle qu’avant l’arrivée des vaccins, les mesures d’hygiène se trouvaient être les seuls moyens de prévention face au COVID-19. La crise sanitaire a montré l’importance de ces gestes de bon sens, comme le lavage de main, au-delà même de la pandémie pour lutter contre toutes les épidémies hivernales ou la gastroentérite. Cette prise de conscience a permis de valoriser le métier d’hygiéniste.
Un travail de concert avec les microbiologistes et les infectiologues
De vraies synergies tripartites sont à l’œuvre sur le terrain entre les microbiologistes qui réalisent le diagnostic, les infectiologues qui traitent les patients et les hygiénistes qui réalisent des analyses en cas d’infections associées aux soins, afin de comprendre le mécanisme de survenue de l’infection et de mettre en place des mesures correctives.
« Il est essentiel de travailler ensemble, reprend le Dr Sara Romano-Bertrand. Un microbiologiste qui détecte une bactérie résistante doit communiquer avec l’hygiéniste pour isoler le patient s’il existe un risque de transmission croisée afin de limiter la diffusion de l’antibiorésistance. Il doit également communiquer avec le clinicien qui va lutter contre l’infection causée par cette bactérie. »
Dr Sara Romano-Bertrand
La communication est également importante entre le clinicien et l’hygiéniste en cas de situation problématique, c’est-à-dire une infection rare ou inattendue, dans une démarche de compréhension de l’infection et de protection des professionnels de santé et des patients.
L’importance des outils automatisés pour communiquer plus rapidement
Le CHU de Montpellier dispose d’un logiciel de validation des analyses bactériologiques équipé d’un système d’extractions automatiques qui prévient systématiquement l’hygiéniste lorsque sont identifiées des bactéries résistantes chez un patient. Les patients positifs sont mis en isolement pour limiter le risque de diffusion : « Il y a beaucoup de cas et les microbiologistes ne peuvent pas nous prévenir à chaque fois. Ces alertes automatisées nous permettent de ne pas passer à côté d’un cas. » Dr Sara Romano-Bertrand.
Le CHU s’est également doté d’une Unité Mobile d’Infectiologie Clinique (UMIC) qui intervient sur les cas préoccupants (infection grave ou avec un profil de résistance particulier). Les cliniciens peuvent solliciter l’intervention d’un infectiologue via l’UMIC pour des conseils sur une antibiothérapie à mettre en place. Quand l’infectiologue consulte le dossier, il peut demander l’avis de l’hygiéniste directement dans le logiciel si c’est une infection nosocomiale ou s’il s’agit d’un profil de résistance particulier avec un risque majeur de diffusion par exemple. Ces outils permettent de gagner en fluidité dans la transmission des informations.
La place du diagnostic biologique dans l’activité de l’hygiéniste
Au-delà de la prévention des contaminations, l’hygiéniste est chargé de la sécurisation de l’environnement de soin vis-à-vis des risques infectieux. La microbiologie environnementale couvre les contrôles de la qualité de l’eau, de l’air, les relevés sur les surfaces de travail et les dispositifs médicaux.
« Cet axe de prévention reste en retard par rapport à la microbiologie clinique en termes d’outils de diagnostic, nous utilisons souvent des outils cliniques qui ne sont pas toujours adaptés à nos besoins car les échantillons sont composés différemment. »
Dr Sara Romano-Bertrand
Sara Romano-Bertrand nous partage l’exemple des mycobactéries.
Dans le cas de la tuberculose, les mycobactéries sont isolées dans des prélèvements respiratoires riches en mucosités, après traitement de décontamination. Dans l’environnement hydrique, elles évoluent dans une matrice différente beaucoup moins complexe, et le traitement de décontamination utilisé en clinique est trop agressif.
Même constat pour la résistance aux carbapénèmes : les supports de la résistance sont généralement des enzymes portées par des plasmides et l’identification des gènes de résistance ou des plasmides porteurs de la résistance dans l’environnement est souvent plus complexe que dans un échantillon clinique.
« On ne fait pas systématiquement des recherches plasmidiques sur des bactéries environnementales alors qu’il serait utile d’avoir des outils qui permettent de screener la présence de gènes porteurs de résistance dans nos échantillons environnementaux. » Sara Romano-Bertrand
D’où la nécessité de recourir à des outils de diagnostic spécifiquement développés pour la microbiologie environnementale.
La surveillance de l’environnement est un élément clé pour comprendre la transmission croisée.
« On ne peut pas tout expliquer par la transmission directe. En améliorant la connaissance microbiologique environnementale, nous améliorerons la prise en charge des patients et la prévention de l’antibiorésistance. » Un aspect essentiel du métier d’hygiéniste nous confie le Dr Sara Romano-Bertrand
Des outils à développer pour détecter plus rapidement les cas de transmissions croisées
En termes de microbiologie environnementale, l’hygiéniste a besoin d’outils de diagnostic rapide permettant d’identifier rapidement un phénomène de transmission croisée dans un secteur de soin.
« En oncohématologie par exemple, nous avons eu du mal à identifier un phénomène épidémique chez des patients porteurs de différentes espèces de Pseudomonas et qui étaient également porteurs d’un gène de résistance aux carbapénèmes rare : le gène VIM. Nous aurions eu besoin d’un outil capable d’identifier en routine un même plasmide transmis entre différentes espèces de bactéries. »
Dr Sara Romano-Bertrand
Des outils de typage rapide permettraient également de gagner du temps souligne Sara Romano-Bertrand qui prend comme référence la spectrométrie de masse. Le MALDI-TOF est un outil d’identification bactérienne qui pourrait également réaliser le typage de BLSE ou de carbapénémases. « Mais cela reste du développement de recherche : nous n’avons pas de base de données qui permette d’identifier rapidement une même enzyme entre deux bactéries. » Dr Sara Romano-Bertrand
Aujourd’hui, il faut plusieurs semaines pour réaliser ces analyses regrette le Dr Sara Romano-Bertrand alors qu’un outil de surveillance rapide permettrait d’obtenir le profil de résistance des bactéries et de détecter immédiatement les risques de transmissions croisées.
« Et plus on détecte vite, plus on agit rapidement, mieux on contrôle l’épidémie. »
conclue le Dr Sara Romano-Bertrand