Par le Pr Eric Senneville
Service Universitaire des Maladies Infectieuses et du Voyageur Hôpital G. Dron Tourcoing
Centre de référence coordinateur des infections ostéo-articulaires complexes Nord-Ouest (CRIOAC Lille-Tourcoing)

diagnostic moléculaire

Dans le diagnostic des Infections Ostéoarticulaires (IOA), la part microbiologique est essentielle, elle guide la thérapeutique. Néanmoins, d’autres éléments cliniques, de l’imagerie, de la biologie entrent en jeu dans la prise en charge globale du patient idéalement par une équipe multidisciplinaire dans le cas des infections sur matériel.

« Les techniques du diagnostic microbiologique dites conventionnelles ont probablement atteint leurs limites de performance »

constate le Pr Senneville

Dans ce contexte, les nouveaux outils de diagnostic des IOA sont intéressants mais il y a plusieurs challenges à relever :

1. Distinguer un pathogène d’un contaminant. « Pour faire un bon diagnostic et un bon traitement, il nous faut identifier le ou les microbes responsables de l’infection. Dans l’infection sur matériel, notamment chronique, n’importe quelle bactérie peut devenir pathogène, Staphylococcus epidermidis étant un des cas les plus fréquents. Il n’existe pas de corrélation clinico-microbiologique pour nous aider. » détaille le Pr Senneville.
Il est nécessaire de revenir toujours à la notion de bonne qualité du prélèvement, sans contamination. C’est un challenge pour les chirurgiens qui prélèvent.

2. Dans les infections sur prothèse : le spectre de bactéries en cause est extrêmement large.

3. Le biofilm, une particularité des Infections sur matériel, notamment dans un contexte des infections chroniques, requiert l’utilisation des antibiotiques non-usuels. « Il nous faut un antibiogramme complet, sophistiqué, qui comprend ces molécules particulières », poursuit le Pr Senneville.

4. Il existe plusieurs définitions de l’infections sur prothèse (IDSA 2013, International consensus Meeting 2018, EBJIS 2018). Elles considèrent, toutes, la culture comme le critère microbiologique. Des tests de biologie moléculaire n’y figurent pas encore. « Or, de temps en temps des cultures sortent négatives chez les patients avec les critères cliniques en faveur de l’infection. Pour le clinicien c’est un véritable malheur parce que l’on est incapable au regard de tout ce qui est potentiellement en cause dans l’origine de l’infection d’adapter le traitement antibiotique. » confie le Pr Senneville.

5. La gestion du temps. « Dans un monde parfait, il nous faudrait la détection per-opératoire du(des) microbe(s) en cause. On n’était pas à ce stade avec les outils moléculaires disponibles actuellement : Unyvero (résultats en 5h), NGS encore plus long, relativement compliqué, avec une sensibilité moindre.1 La question se pose avec le BioFire JI qui rend des résultats en 1h », exprime le Pr Senneville.

« Le bénéfice de l’approche syndromique va dépendre de la qualité du choix des panels, de leurs performances et du délai de rendu des résultats. Quelle est la conséquence par rapport à la culture ? Par rapport au patient ? Par rapport au coût ? Il nous faut des études pour avancer dans ces aspects pour véritablement savoir quel est le bénéfice de l’approche syndromique dans le domaine des IOAs. »

indique le Pr Senneville

Le BioFire Joint Infection (JI) panel

Le BioFire JI panel, validé CE-IVDR uniquement sur le liquide synovial, couvre un large spectre des pathogènes, sauf quelques bactéries des pathologies chroniques.

En un seul test, le BioFire JI permet d’identifier 39 cibles :

  • 15 bactéries à Gram Positif dont 7 anaérobies
  • 14 bactéries à Gram négatif y compris Kingella kingae – bactérie fastidieuse en culture, Neisseria gonorrhoae – bactérie fragile, 1 anaérobie Bacteroides fragilis.
  • 2 levures (Candida spp., Candida albicans)
  • 8 gènes de résistance (y compris la BLSE CTX-M, 5 carbapénémases, 2 séquences cibles pour SARM)

Il y a des « trous » apparents dans le panel : C. acnes et les staphylocoques à coagulase négative  (SCN), sauf S. lugdunensis. Pourquoi ces cibles manquent ?

  • Staphylococcus epidermidis et Cutibacterium acnes font partie de la flore commensale de la peau et sont les contaminants fréquents des échantillons cliniques.
  • Contaminations pendant le prélèvement et leur manipulation au laboratoire peuvent être en cause d’un taux plus élevé de détection. « La valeur diagnostique d’un seul test positif pour ces pathogènes ne serait pas évidente, sachant que C. acnes, S. epidermidis et/ou autres SCN sont fréquents dans la pathologie ostéo-articulaire, et que ces pathogènes sont interprétés en fonction du nombre de prélèvements positifs. » commente le Pr Senneville.
  • Pour ces pathogènes : atteindre une bonne sensibilité ainsi qu’une bonne spécificité est un challenge pour des tests moléculaires.

Néanmoins, S. lugdunensis, un SCN qui a une pathogénicité proche de S. aureus, est couvert par le BioFire JI panel.
Ensuite, Cutibacterium avidum/granulosum, plus rare mais plus pathogène que C. acnes, est également ciblé.
D’un point de vue technique, le liquide synovial, le prélèvement requis pour BioFire JI, ne nécessite aucun pré-traitement. « Les premiers résultats sur BioFire JI sur le liquide synovial sont prometteurs: Sensibilité à 91,7%, Spécificité à 99,8%. » 2,3 dévoile le Pr Senneville.  

Positionnement, c’est une vraie question !

Le panel est bien adapté à l’arthrite septique au vue de son épidémiologie (cf Tabelau 1).4

Tableau 1 : Principaux germes des arthrites septiques.4 En gras les germes les plus fréquents.

« En situation de l’urgence thérapeutique, chez les patients avec une arthrite septique aiguë et pronostic vital engagé (sepsis, choc septique), le BioFire JI panel peut nous aider. De plus, cet outil moléculaire sera utile chez les patients qui ont eu l’antibiothérapie préalable aux prélèvements. Ces patients fébriles, avec un gros genou rouge et douloureux qui fait peur, reçoivent souvent des antibiotiques avant l’arrivée à l’hôpital » décrit le Pr Senneville, « si la culture sort négative à 48 heures, en raison des bactéries décapitées, le BioFire JI panel a toute sa place ».

Il apportera aussi des bénéfices dans les situations urgentes, où l’antimicrobial stewardship est particulièrement important : chez les patients avec une Infection Nosocomiale, antécédents de bactérie multirésistante (porteur ou dans une ambiance épidémique), IST et/ou Immunodéprimé. « Une mise en évidence d’un pathogène responsable, nous permettra d’instaurer une antibiothérapie ciblée et d’épargner des antibiotiques à large spectre. » poursuit le Pr Senneville.

En pratique, pour toute situation d’arthrite native pour laquelle il est envisagé l’administration d’une antibiothérapie à large spectre (plus large que le traitement probabiliste recommandé par les sociétés savantes pour ces situations) pour diverses raisons (nosocomiale, post-opératoire, immunodéprimé, infection sévère ..), le BioFire JI a potentiellement sa place dans la cadre de l’épargne antibiotique. 

En cas d’infections sur prothèses ostéo-articulaires, le BioFire JI panel répond au besoin du diagnostic des infections post-opératoires précoces (aiguës), hématogènes. Ce panel peut être intéressant chez des patients avec une antibiothérapie préalable aux prélèvements. Ensuite, il peut avoir un intérêt, grâce aux résultats rapides, dans les situations d’urgence thérapeutique : le patient immunodéprimé, antécédents de bactérie multirésistante.

Lors d’une reprise de prothèse pour une infection aiguë, le BioFire JI pourrait aider dans la prise de décision de conserver ou enlever la prothèse et donc guider le geste chirurgical. « Nous avons plus de succès de conserver le matériel si on met en évidence le microbe responsable et si on instaure l’antibiotique pivot (la rifampicine pour l’infection à staphylocoques ou une fluoroquinolones sur un bacille à Gram négatif », souligne le Pr Senneville.

« Dans les IOA dites chroniques, la prévalence des staphylocoques non-dorés est très importante, le panel n’est pas adapté. Sauf en cas des résultats négatifs des cultures chez un patient avec le tableau clinique en faveur de l’infection. »

Le Pr Senneville conclut : « Il y a un intérêt potentiel évident, si on donne à un clinicien un test supplémentaire pour lui permettre de faire le diagnostic plus vite dans certaines situations aiguës ou quand la culture reste négative. Il faut réfléchir à une place à réserver pour ce test, plutôt dans l’infection aiguë que chronique. »

Cas clinique avec le BioFire JI panel (CHU Lille) :

Un homme de 47 ans, il a une Sleeve gastrectomie, il est hypertendu, il est goutteux connu. Il vit seul, sans profession.

Il tombe dans les escaliers le 17/08, sans perte de conscience. Il se fait un traumatisme de la cheville gauche, il est admis à l’unité d’urgence le jour même, parce qu’il a une impotence fonctionnelle. Il n’a pas de plaie mais mobilisation douloureuse de la cheville gauche avec œdème inflammatoire. Pas de fracture. Il était fébrile ces jours-ci (38,2°C), avec une CRP à 195 mg/L. Parmi les 3 hémocultures prélevées à l’admission, une est positive à S. epidermidis. Il est transféré le 20 août en service de rhumatologie pour cette cheville non fracturée, inflammatoire, avec son tableau clinique inchangée (38,9°C). Sa CRP s’est élevée à 350mg/L et la ponction articulaire de la cheville gauche montre un  aspect purulent avec  1000 leucocytes /mm3, 93% de polynucléaires neutrophiles et pas de cristaux. BioFire JI révèle le gonocoque sur la ponction articulaire. La culture sort négative, mais une autre technique de PCR ciblée pour gonocoque confirme ce résultat positif. N. gonorrhoeae est une bactérie fragile, pas toujours facile de l’avoir en culture, sensible aux changements de température.

« Résultat est positif avec la PCR « conventionnelle » sur liquide articulaire, mais il faut penser à la prescrire. Tout le monde ne fait pas systématiquement une PCR gonocoque. » souligne le Pr Senneville. Dans ce cas, le BioFire JI panel permet de mettre en évidence un pathogène insoupçonné.

  1. Bemer P et al. J Clin Microbiol 2014
  2. Graue C et al. OFID 2020
  3. Kensinger B et al. EBJIS 2021
  4. D’Incau S et Emonet S., Rev Suisse 2018

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